THÉÂTRES DU MONDE - Le théâtre turc

THÉÂTRES DU MONDE - Le théâtre turc
THÉÂTRES DU MONDE - Le théâtre turc

Les traditions théâtrales turques sont antérieures à la pénétration des Turcs en Asie Mineure; elles furent perpétuées, depuis l’époque seldjoukide, jusqu’au XXe siècle. Le théâtre traditionnel ne relevait pas d’une poésie dramatique véritable, mais de diverses formes de spectacles hétérogènes. Son essence était populaire; ses sources provenaient de traditions orales, donnant ainsi la primauté à la représentation sur le texte. Toutes les formes de spectacles traditionnels ont en commun le goût de l’improvisation, de l’imitation et relèguent l’intrigue et l’action au second plan.

À l’heure même où théoriciens et personnalités internationales du théâtre cherchent à revenir aux origines des théâtres antiques et orientaux, à retrouver leur dépouillement scénique et gestuel, il paraît essentiel d’attacher une particulière attention aux richesses des traditions turques, demeurées longtemps méconnues en Occident.

Coutumes dramatiques

Les spectacles paysans appartiennent plutôt au domaine du folklore; ils ne vérifient pas exactement le terme de tradition et constituent ce que l’on pourrait appeler un ensemble de coutumes dramatiques encore vivantes dans certaines régions: leur rôle est épisodique, leur champ d’action limité par les barrières régionales; ils forment donc une catégorie distincte des spectacles forains, des traditions de conteurs et des trois genres principaux: les marionnettes (kukla ), le théâtre d’ombres et l’ortaoyunu , qui composent le véritable théâtre traditionnel turc.

Les spectacles forains

Les spectacles forains constituent les traditions les plus anciennes, avec les saltimbanques, les funambules et leurs numéros de prestidigitation et d’acrobaties; ces artistes itinérants se produisaient sur les places publiques et leurs spectacles étaient très en vogue aux XVIe et XVIIe siècles. On pouvait reconnaître les saltimbanques (hokkabaz ) et les joueurs de gobelets (mührebaz ) à une sorte de gibecière qu’ils portaient en bandoulière et qui renfermait les objets nécessaires à leurs tours d’escamotages. Parfois des troupes de danseurs (köçek ) et danseuses (çengi ) accompagnaient les illusionnistes.

Les conteurs populaires

Le meddah , tradition séculaire de conteurs, n’était pas uniquement basé sur le langage, il supposait aussi un parler gestuel, des imitations et des dialogues; tout l’art du conteur se résumait à son ascendant sur le public, l’essentiel étant de le captiver et de lui faire vivre la fable racontée. Les conteurs se rencontraient surtout dans les cafés; un mouchoir servait de chapeau, d’écharpe ou matérialisait la voile d’un navire; ils tenaient à la main un bâton qu’ils utilisaient pour obtenir le silence dans la salle ou en guise d’objet imaginaire. Le meddah enrichissait ses contes de devinettes, d’imitations et empruntait ses sujets aux anciennes légendes et aux poèmes épiques.

Le théâtre de marionnettes

La tradition de la marionnette (kukla ) existait déjà chez les Turcs Seldjoukides. On trouvait des marionnettes géantes que l’animateur revêtait lui-même, des marionnettes à la planchette, mais surtout des marionnettes à main et à fils; ces dernières connurent une progression rapide et originale jusqu’au XVIIIe siècle, puis elles eurent tendance à perdre leurs caractères spécifiques sous l’influence de la marionnette européenne introduite en Turquie par les voyageurs étrangers.

On trouve dans les marionnettes turques, aux côtés de types consacrés, des personnages tout à fait inédits. Les marionnettistes animaient plus particulièrement des thèmes comiques, parfois des histoires d’amour; par la suite ils reprirent le répertoire du théâtre d’ombres qui recueillait la faveur des audiences les plus composites.

Le théâtre d’ombres du karagöz

Le théâtre d’ombres fut importé en Turquie au XVIe siècle par des artistes égyptiens et s’implanta à Istanbul; les souverains ottomans devinrent les mécènes de ce théâtre. La technique du théâtre d’ombres est en apparence fort simple: le montreur tend un rideau face au public, se place derrière cette toile, et, à l’aide de bâtons, applique des figurines transparentes dont le spectateur voit se profiler les ombres colorées. Les figures du karagöz sont découpées dans de la peau de chameau préalablement affinée avec du verre, tannée et peinte de chatoyantes couleurs. Ces figures, à deux dimensions, s’articulent au cou, aux bras, à la taille et aux jambes; elles composent une large collection de personnages stéréotypés parmi lesquels le bourru Karagöz, personnage qui a donné son nom au genre, le distingué Hacivat, un ivrogne, un fumeur de haschisch, le Juif, l’Arménien, l’Arabe; autant de nationalités, d’ethnies et de religions qui peuplaient la cosmopolite capitale. Le montreur, qui était seul à assumer la responsabilité du spectacle, déployait une très grande virtuosité à fabriquer les figures, imiter d’innombrables accents, à chanter et improviser, enrichissant ainsi le récit des fruits de son imagination.

Les représentations du karagöz observaient un déroulement précis, car la structure d’un spectacle comme d’un texte, sans être rigide, est formée de quatre parties distinctes: prologue, dialogue, fable, épilogue. Le but du karagöz était avant tout de faire rire, mais il présentait aussi une grande valeur de satire socio-politique. Cet aspect ainsi que sa prédilection pour l’obscène et le scatologique eurent tendance à s’estomper à la fin du XIXe siècle avec la censure instaurée par le sultan Abdülhamit; en outre, l’influence du théâtre européen, la pénurie d’artistes capables de prendre la relève contribuèrent à le faire disparaître. Aujourd’hui, le théâtre d’ombres appartient au passé, ses figures sont dans les musées, ses textes dans les bibliothèques. Quelques initiatives solitaires ne suffisent pas pour le réanimer en tant que spectacle.

L’ortaoyunu

L’ortaoyunu , qui fut révélé en 1834, existait assurément avant cette date. Il est interprété par des comédiens, mais reste très proche du théâtre d’ombres par son caractère satirique, son goût de l’imitation et de l’improvisation. Les acteurs avaient un jeu mécanique et clownesque, ce qui n’excluait pas une extrême sobriété, puisqu’ils rejetaient l’utilisation d’accessoires superflus, préférant créer l’objet et la matière par le geste mimé. Tout le comique reposait, en réalité, sur les quiproquos et calembours des héros burlesques: Pi ずekâr et Kavuklu, qui provoquaient le rire complice du public. Le lieu scénique de l’ortaoyunu , une enceinte ovoïdale délimitée par des poteaux et des fils, renfermait toute l’originalité du spectacle. Théâtre urbain comme le karagöz et semblable à celui-ci par sa structure mobile, l’ortaoyunu n’avait pas la même prédisposition pour la satire sociale et l’obscène et penchait vers des sujets pris dans l’actualité et la vie quotidienne d’Istanbul.

Les deux spectacles coexistèrent de façon parallèle; ils se différenciaient tous deux du meddah qui tendait au psychologisme dans ses procédés. Le karagöz et l’ortaoyunu ne donnaient pas l’illusion de la réalité et interdisaient de prime abord au spectateur toute possibilité d’identification; les acteurs de l’ortaoyunu étaient conscients d’être des représentations humaines fictives et stylisées.

L’ortaoyunu tout comme le karagöz , par leurs innovations, la modernité de leurs méthodes et de leurs pratiques, témoignent de leur actualité. Il est d’autant plus regrettable qu’ils aient disparu en même temps que les autres formes traditionnelles de théâtre, seuls témoignages de la culture et de l’art dramatique des Turcs.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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